vendredi 29 avril 2011

p'tit moment de beau


J’étais assise dans un café aujourd’hui et je lisais un livre (un bon livre qui fait pleurer). Je devais être dans le bon état d’esprit: le livre, l’odeur du café et du gras de bacon qui flottait dans l‘air, l’inexplicable réconfort pour mes pieds mouillés du bol de café au lait dans mes mains, la vie qui ralenti depuis quelques jours parce que je le lui ai permis, un silence spécial brisé seulement par le cliquetis des cuillères sur les parois des tasses, une espèce de chaleur partagée, des chuchotements qui volent et qui s’accrochent aux quelques filles boucle d’oreillées qui tendent leur curiosité, comme moi, par dessus leur livres tristes de jours de congé. Je devais être dans le bon état d’esprit pour accueillir la beauté.

Elle est entrée avec lui, tranquillement. Ils avaient l’air fatigués. On reconnait je crois quelqu’un qui souffre à son air terriblement fatigué, à son air lourd et silencieux. Ils se sont prit un café et se sont assis. J’ai observé leur conversation de loin avec respect comme on regarde un film muet (et comme on peut espionner une conversation de loin ‘’respectueusement‘’, très très discrètement). Leur mouvements étaient lourds et tristes et portaient quelque chose de cassé. Les chuchotements et les cliquetis volaient toujours de la même façon mais leurs ailes semblaient plus lourdes, peut-être plus gênées par le gras de bacon dans l’air ou restaient-ils pris dans les brisures qui émanaient du couple et qui faisait des vagues autour d’eux, comme une roche tirée dans l’eau.
 
Il est parti peu de temps après en laissant son café encore fumant réchauffer l‘air qu‘il laissait comme saisi d‘un grand froid. Elle se tenait devant deux café chaud. Ses lèvres encore entre-ouvertes refroidissaient pourtant.
 
Des larmes se sont mises à couler sur ses joues. C’est si beau, une femme qui pleure dans un café. Ses larmes tombaient silencieusement dans l’ambiance du café en faisant de grandes grandes vagues, et les filles reposaient leurs yeux dans leur livres tristes doucement (comme on cesse d‘espionner une conversation quand c’est le temps, très, très discrètement). Quelque chose s’était brisé et risquait de s’éparpiller, pourtant elle restait entière et tellement vraie.
 
Elle s’est levée, laissant les deux cafés fumer seuls, abandonnés. J’avais envie d’en prendre un, de crier à quelqu’un de prendre l’autre, j’avais envie d’adopter vite ce silence cette chaleur cette brisure, tellement elle était délicate, tellement elle était belle. J’avais envie de regarder ce café fumer toute l’éternité.
 
Elle s’est levée et il s’est mis soudainement à pleuvoir très fort.
 
Tout le monde a tout d’un coup regardé dehors puis nous nous sommes regardés, soulagés, comme si nous partagions une petite misère (comme les gens aiment partager de petites misères), mais je crois que personne ne savait.
 
Elle est sortie discrètement dans la pluie et dehors personne ne savait non plus. Personne ne savait qu’elle était belle et qu’elle pleurait. Personne ne savait que des larmes qui tombent font des vagues, qu’elle se tenait au milieu d’une mer tranquille et juste assez saline pour laisser flotter, pour supporter la beauté. Personne ne savais que, contrairement à elle, la pluie ne fait pas de vague. Que la pluie tombe, s’écrase, s’éparpille et meurt, simplement. C'est pour ça je pense que les gens préfèrent la pluie aux larmes, c'est moins compliqué.
 
Elle est sortie et elle a marché, vivante sous l'averse, la tête baissée.
 
Et j’ai regardé les deux cafés qui fumaient seuls, tranquillement.
 
Et j’ai terminé mon livre triste de jour de congé,
 
et j’ai pleuré.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire