jeudi 3 mars 2011

Ma ville ce n'est pas une ville, c'est l'hiver.

C'est pendant la nuit qu'ils tassent la neige. Pendant la nuit, tout est tassé mis sur le côté on fait des p'tits tas avec tout c'qui est tombé tout c'qui c'est passé tout c'qui c'est entassé durant la journée. On fait des p'tits tas pis on les amène ailleurs. Loin loin loin là où le monde ne passe pas trop souvent. Là où on ne passe pas trop souvent. C'est pendant la nuit qu'ils grattent la neige. Ils l'amènent ailleurs. Là où les automobiles ne passent pas.

Il pousse la neige à droite. Le gros camion passe, retasse la neige, fait une belle grosse ligne au milieu de la rue. Un autre gros camion qui souffle passe côte-à-côte avec un gros camion qui ramasse et ils s'en vont porter la neige ailleurs.

Je rentre du travail tous les soirs à pied. Je rentre quand les camions commencent à ramasser.

Le camion monte sur Belvédère, pousse la neige à droite avec sa grosse gratte. Ses gros pneus tracent un chemin sur mes jambes, sa gratte écorche mes jambes jusqu'au genou, accélère, passe sur mon genou en grinçant et écorche ma jambe jusqu'au bas de mon ventre.

Les gros camions sur René-Lévesques frottent le bas de mon ventre irrité et passent sur mon nombril en silence. Personne ne porte attention au petit trou au petit vide au petit rien qu'ils écrasent comme un souffle sous la neige brune brune brune sale sale sale mais belle belle blanche sur le dessus. Les camions tassent la neige sur René-Lévesques et la soufflent dans d'autres camions, ils grattent mon ventre et ça fait de gros ronrons trop trop trop fort, des ronrons de gros dinosaures.

Mes seins, comme deux petits bancs de neige glacés, frémissent dans la rue, secoués qu'ils sont par les gros camions. Personne ne sent mon coeur. Mon petit coeur qui fait frémir les gros camions qui font frémir la rue qui fait frémir mes petits seins durs qui frémissent en banc de neige glacé. Les camions détruisent les deux petits bancs de neige glacés sur René-Lévesques à coup de pelle, ils dérangent ils dérangent ils empêchent de passer. Recule avance recule avance recule avance va et vient sur mon corps usé, ils vont et viennent à bout des petits bancs de neige glacés. Les gros camions qui soufflent tirent mes seins dans de gros camions qui ramassent et vont éparpiller mes seins plus loin loin loin là où les automobiles ne passent pas.

Les gros camions montent et descendent sur Salaberry, mes bras s'étirent, montent et descendent, les camions poussent la neige, leur pelles arrachent la peau de l'intérieur de mes bras et pèsent pèsent pèsent lourd lourd lourd jusque sur mes épaules.

Au coin de Salaberry et Aberdeen c'est difficile pour les camions, y a pas beaucoup d'espace, la lumière de la rue clignotte rouge rouge rouge, les automobiles sont allées attendre ailleurs, surement où d'habitude elle ne vont pas, surement où ils ont éparpillés mes seins.

Les gros camions essayent de vider le coin mais c'est pas facile y a neigé beaucoup y a toujours de la circulation ça passe par là ça passe tout le temps avance recule avance recule avance recule les gros camions sur ma petite tête au coin de Salaberry et Aberdeen. Les gros camions passent sur mes lèvres avec leurs grosses grattes mais elles ne chialent pas mes lèvres, elle sont suiveuses elles sont légères elles sont faciles. Les gros camions partent avec mes lèvres et c'est doux comme de la mousse, vont les porter derrière une maison, vont boucher une ruelle avec mes lèvre poudreuses. Mes petites joues sont coriaces elles s'étirent elles résistent mais elles finissent par décrocher, mes petites pommettes sont portées quelque part où les automobiles ne passent pas, sous les arbres, mes petites pomettes tombées de ma petite tête. Mon nez leur fait perdre du temps aux gros camions, ils se mettent à plusieurs, ils ne font pas attention, ils accrochent une borne fontaine, l'eau coule sur la neige sous les grosses roues sous les gros camions qui passent sur mes yeux mes paupières mes sourcils, l'eau coule dans mes yeux mes paupières mes sourcils glisse dans mes cheveux gelés dans les buissons qui longent la rue Aberdeen.

C'est pendant la nuit qu'ils tassent la neige. Pendant la nuit, tout est tassé mis sur le côté on fait des p'tits tas avec tout c'qui est tombé tout c'qui c'est passé tout c'qui c'est entassé durant la journée. On fait des p'tits tas pis on les amène ailleurs. Là où le monde ne passe pas trop souvent. Là où on ne passe pas trop souvent. C'est pendant la nuit qu'ils grattent la neige. Ils l'amènent ailleurs. Là où les automobiles ne passent pas. Ça fait de gros ronrons de gros dinosaures qui se sont perdus parce qu'il est trop tard, qui sont surement saoul parce qu'ils sont perdus parce que c'est ce que ma ville fait aux gens qui se perdent tard tard tard.

Je rentre du travail tous les soirs à pied. Je rentre quand les camions commencent à ramasser. Ronronronronrons

Quand je rentre du travail j'essaye de laisser le travail derrière moi quand je m'en vais au travail j'essaye de laisser la maison derrière moi.

Sur mon chemin.

Des fois je me perds, souvent.
Je m'oublis, la fièvre me prends.

Les rues prennent mon corps et se l'échangent, se l'éparpillent.

Je me sens bien quand, dans les ruelles les lumières clignottent rouge rouge rouge. Les automobiles sont ailleurs, quelque part où je suis, elles viennent me visiter moi, dans les recoins de ma ville, ma ville qui n'est pas une ville parce que ma ville c'est l'hiver.

Des fois je me perds, souvent. Et dans ce temps là je l'avoue je prie. Je me demande comme Michel Rivard où sont allé les dinosaures.

Je prie et des fois je pense que dans ma fièvre je crie.

Montréal sauve moi, cette ville me dévore.

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