vendredi 6 janvier 2012

je m'achèterai un gun

http://weheartit.com/entry/11368228

J’ai dû me pencher comme il ne fallait pas. Me plier trop, à tout. J’ai dû laisser quelque chose de trop lourd peser sur mon corps. La ville. J’ai dû faire un faux pas. Tomber dans un caniveau. Sur un plancher de bois. Dans un appart. Dans les toilettes d’un bar. J’ai dû rentrer dans un poteau de téléphone. Dans une boîte aux lettres. J’ai dû manquer une marche. Un escalier. Aller trop haut. Aller trop bas. J’ai dû faire quelque chose.
Un œuf s’est cassé dans mon ventre.

Il y avait des plantes grugées par les chats. Des rideaux transparents. Il y avait une table graffignée et des craques dans le plancher. Il y avait un grand divan. Une bibliothèque en bois. Et un clavier.

Le paysage était le même, rien de différent. Un œuf de cassé dans une douzaine d’œufs. Celui qu’on ne voit pas. Jamais. Celui qui coule dans le sac. Rien de différent. Je suis un sac. Le sac collant. Un œuf cassé. Dedans.

« Tu veux voir, regarde, c’est par là que le bébé sort, c’est surement pas grave, regarde, c’est par là que le bébé sort ». Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire au travers de ses mots.

« Est-ce que tu vas t’évanouir ? »
 
« non »

Un bébé pourrait sortir de là, qu’est-ce que tu veux que je dise de ça. Je suis un sac, je ne déjeune pas, je me fais régulièrement frapper par des lampadaires filants, j’ai le ventre ouvert jusqu’aux chutes Niagara, j’ai soif tout l’temps, je me râpe la gorge et les bras. Je ne vais pas m’évanouir pour ça. J’ai un œuf de cassé dans le ventre.

Elle en a ramassé  un bout. Elle l’a mis dans un petit pot avec de l’eau dedans. Pour savoir si. Peut-être. Au cas où.

Je pensais aux œufs dans le vinaigre de papa. Je pensais au soleil. À la porte patio. Au plafond en stuco. À la Petite Sirène. Je pensais à l’odeur du café. Je pensais à Serge Fiori. À Michel Rivard. Aux dinosaures.

Elle comptait le temps en bébé. Tout le monde comptait le temps en bébé. Quand on vieillit, le temps-bébé se raccourcit. Ils ont peur de ça.

Quand les œufs se cassent, les bébés, c’est fini. Qu’est-ce qu’on fait du temps. On a du temps à  tuer. On s’achète des guns. 
Qu’est-ce qu’on fait du temps. On le lance dans les airs. On le pose sur une clôture. Sur une branche. Par terre. Sur une chaise. N’importe où. 
On s’achète des guns.

Je ne me suis pas évanoui. Il  y avait du sang. Je n’ai pas pleuré. Il faisait froid. Il y avait de la statique dans mes cheveux. Il y avait de la statique dans ma chemise de soie. Mes bas étaient mouillés. J’ai acheté un chandail de laine. J’ai pris l’autobus. Je suis allé travailler. J’avais une ampoule au petit orteil gauche. J’avais les oreilles gelées.

Elles m’ont dit que c’était sur que ça allait aller parce que. J’étais jeune. Et belle.

J’ai souri. Je suis polie. On a ri de la vieille qui n’était pas tellement belle. C’était méchant. Elle a ri. Elle est polie.  

Si je deviens vieille, ça ce fera par téléphone. Je dirai oui allo et je prendrai un coup de vieux dans l’oreille. Ça ce répandra partout. Comme un café sur un agenda. Je me créerai des urgences. Je me sauverai des ambulances. Je ramasserai des roches. Je ferai ce qu’il ne faut pas. Je  me pencherai trop. Je me plierai trop, à tout. Je laisserai toutes les choses lourdes peser sur mon corps. La ville. Je ferai des faux pas. Je me trouverai un caniveau. Je m’enfargerai dedans. Des planchers de bois. Des fois. Des apparts. Des appâts. Des toilettes de bars. Des bras. Je me plierai dans des enveloppes. Je me ferai licher. Partout. Je me viderai des chutes Niagara. Je me ferai licher les chutes Niagara. Je me cognerai la tête sur les poteaux de téléphone. Je ferai quelque chose. Tout. Je me créerai des urgences. Je skierai sur les ambulances. Le temps se comptera en gorgées. Le temps se comptera en bouteilles dans le caniveau. J’appellerai. N’importe qui. Personne. Le temps se comptera en lampadaires filants. Le temps se comptera en ce qu’il ne faut pas. Je serai vieille. Ça ce sera fait au téléphone. Je redeviendrai un bébé. Le temps ne comptera plus sur moi. Comme un café sur un agenda.

Il faudra vivre fort. Vite. Il faudra tuer le temps.

Le lancer dans les airs le poser sur une clôture le poser sur une branche sur une chaise par terre n’importe où.

Je m’achèterai un gun.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire