dimanche 9 octobre 2011

écailles

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       -               - Couleur des cheveux?

Elle m’a regardé en silence.

-                     -  C’est au cas où.     Tsé.      Tu disparaissais.
-                     - Ah, ok.  Écaille de tortue.

Elle a répondu spontanément. Comme lorsque je lui ai demandé le numéro de téléphone de son docteur, de son hôpital,  son numéro d’assurance sociale, son numéro de dossier à l’aide sociale et son numéro d’assurance maladie. Ça en faisait des numéros à stocker dans la tête. Mais il y avait encore de la place pour des images.

Écaille de tortue.

Il y avait trop de place pour les images. Elles me disaient souvent qu’il fallait trouver une façon d’éteindre les spotlights là-dedans.

Moi j’avais peur du noir. Mais je ne le leur disais pas.

Il fallait laisser planer l’idée qu’on était toutes chercheures et qu’on avait chacune notre spécialité. L’éteignage de tête ou de pensées. L’arrêtage de parler ou de stresser ou d’être en colère ou de saigner même.

-                       -   Des signes distinctifs?
-                - Écailles de torture. 

Ça aurait été du pareil au même.

(Je ne serai jamais chercheure parce que j’ai peur du noir).

J’imaginais ses images. Elles ne devaient pas être si différentes des miennes. La différence devait être dans leurs couleurs. Plus sombres ou plus éclatantes. J’imaginais ses images comme cousines des miennes.

La cousine un peu trash de la famille, genre.

On a ri. De ses beaux cheveux écaille de tortue. Un vrai fou rire. Je ne les aurais pas décrits autrement, que je lui ai dis. On a eu mal aux joues.

On oubliait pendant quelques secondes qu’on avait peur de disparaître.

On trainait toutes une lourde enveloppe de rires dans nos poches de chandails de laine de longueur d’année qui s’intitulait : La possibilité de disparaître.

La banale possibilité de disparaître.

Il fallait en rire.

J’avais aussi une enveloppe intitulée : L’obligation de me nourrir. Je la tenais accrochée à la première avec un petit trombone bleu.

Nous avions toutes nos enveloppes. Je sais que certaines les tenaient ensemble avec des rubans multicolores, d’autres avec les élastiques à brocolis qui arrachent les cheveux.

Je suis rentrée à la maison tout de suite après le travail ce soir là parce que j’étais fatiguée. Une boîte de pizza traînait sur le comptoir. J’avais encore un crayon de piqué dans les cheveux pour les tenir en chignon. Je l’ai enlevé. Mes cheveux sentaient bon. J’ai écris sur un coin propre de la boîte :

Châtain

Avec ma plus belle écriture. Celle qui roule les lettres et qui fait des spirales à la fin. J’ai repassé sur les lettres trois fois. La patte du N s’éparpillait en faisant la grimace. Je n’étais pas satisfaite, comme d’habitude. Sur le A, j’ai essayé de faire un chapeau melon mais ça ressemblait plus à un éléphant dans un serpent plié.

Tant pis.

J’ai pris le reste du café instant qui reposait dans le congélateur et je suis allé écouter la télé.

On est une gang sur l’île.

À avoir les cheveux châtains.

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